 |
L'union départementale CFDT de la Savoie a demandé, mercredi 3 juillet, à la procureure d'Albertville, Monique Hugo, d'ouvrir une enquête judiciaire à propos d'un fichier informatisé créé durant l'année 2001 sur l'ordinateur de la police municipale d'Albertville sous le nom de code « Troubadour », sans autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). D'après la CFDT, qui a transmis les éléments en sa possession au parquet, la douzaine de policiers municipaux de la ville a eu pour consigne, pendant plusieurs mois, de contrôler certains lieux considérés comme sensibles, notamment en soirée. Les numéros des plaques d'immatriculation des véhicules « suspects » relevés par les patrouilles étaient régulièrement saisis sur un ordinateur, ces renseignements étant suivis de qualificatifs comme « homo » ou « maghrébin », comme en attestent des copies de listings transmis à la CFDT. Un relevé informatique porte même le nom d'une personne avec cette précision : « Vu en train de sodomiser un mineur ».
Menaces de sanctions
« Nous devions surveiller des endroits précis, et notamment ceux fréquentés par les homosexuels et les jeunes, relever les immatriculations des véhicules et tenter d'identifier les personnes qui se trouvaient à bord », témoigne un policier municipal. « La majorité des collègues étaient scandalisés par ce qu'on nous demandait de faire, ajoute-t-il. Mais notre chef nous menaçait de sanctions administratives si on n'appliquait pas les ordres. Il voulait des résultats, faire mieux que la police nationale, disait-il. Il nous mettait la pression et nos conditions de travail n'ont cessé de se dégrader. On n'a pas compris les raisons de cette brusque dérive sécuritaire. Albertville est une ville plutôt tranquille. » Selon Benoît Voiriot, secrétaire départemental de la CFDT, plusieurs employés auraient été sanctionnés pour avoir refusé de poursuivre de tels contrôles. L'un d'entre eux, en particulier, ne supportait plus qu'on le contraigne à tourner autour des toilettes publiques pour tenter de repérer des gays. « Heureusement que la police nationale s'est inquiétée de ces méthodes, sinon les choses auraient continué », affirme le responsable cédétiste. C'est en effet le commissariat d'Albertville, saisi par la police municipale d'une demande d'identification des propriétaires des véhicules dont les immatriculations avaient été relevées, qui aurait alerté la municipalité sur l'existence d'un fichier illégal. Ce que confirme le maire d'Albertville, Albert Gibello (RPR). « Lorsque j'ai eu connaissance qu'un fichier avait été initié, j'ai immédiatement donné l'ordre qu'il soit arrêté et annulé », précise-t-il, avouant s'interroger sur les fondements de la démarche engagée par la CFDT, un an après les faits.
Pour Me Thierry Billet, avocat du syndicat, la loi informatique et libertés a été enfreinte et des mentions racistes et homophobes ont été portées sur le fichier créé par la police municipale. La CFDT, qui annonce son intention de se constituer partie civile dans le cadre de la procédure qu'elle souhaite voir engager par le parquet, reproche par ailleurs au maire d'Albertville d'avoir omis de signaler de telles irrégularités à la justice mais également de n'avoir pris aucune sanction contre le responsable de « Troubadour ».
Le Monde, 4 juillet 2002 (transmis par actupnews@samizdat.net)
|